Ton pied s’agite sous la table.
Tu n’aimes pas attendre, la patience n’a jamais été ton fort.
Sur la table, une tasse de café à laquelle tu as ajouté au minimum quatre morceaux de sucre. Avec délicatesse tu te saisis de la tasse et la porte à tes lèvres pour en prendre une gorgée.
Ce n’est pas bon. Pas assez de sucre.
Une légère grimace se dessine sur tes lèvres avant de s’effacer aussitôt. Tes expressions sont souvent fugaces, une vague qui chatouille les orteils avant de se retirer aussitôt. Cette discrétion te rassure, cela te donne l’impression qu’on ne pourra lire en toi trop facilement. Un masque de glace à offrir au regard d’autrui, c’est ce que tu veux leur donner. Tu le sais, le regard d’une personne est capable de décrypter, analyser et interpréter le moindre froncement de sourcils comme s’il était une tirade de Proust ou Balzac.
Mais tu n’es pas mieux.
Tu observes et décortiques les gestes des personnes autour de toi pour les comprendre. Pourquoi agit-il la main de cette manière ? Pourquoi elle prend autant d’espace sur la table ? Pourquoi ce détournement de regard ? Pourquoi ? Plein de question qui te font parfois perdre le contact avec la réalité. Est-ce dérangeant ? Tant que tu n’es pas la cible de l’observation, ça te rend curieux de te creuser autant la tête sur le comportement des autres. Il t’arrive parfois de les juger. Quel humain censé ne rajoute pas de sucre dans son café ? Seuls les êtres d’ascendance démoniaque sont capables d’un tel acte ! C’est ce que tu te dis pendant que tu rajoutes à nouveau du sucre dans ta tasse sous le regard atterré de ta voisine de table.
Et tu remarques son regard.
Et tu tournes la tête aussitôt pour l’éviter.
Tu n’aimes pas ça, qu’on t’observe, ça te gêne. Le visage tourné vers la vitre, tu replaces une mèche de cheveux pour te donner une contenance. Dans le reflet, tu devines les rougeurs sur tes joues et tu regrettes instantanément d’avoir une peau si pâle. Tu songes un instant à remettre ton masque pour te cacher, mais la raison te rappelle que ça n’est pas compatible avec l’action de boire son café. Par dépit, tu baisses la tête dans l’espoir que les ondulations ébène additionnées à la tasse suffisent à masquer ta gêne.
Quelle idée de rougir pour si peu !
Quelle idée de rougir tout court.
Décidément, tu commences à t’agacer. Tu es obligé d’attendre, ce que tu détestes faire, et maintenant que tu as surpris ce regard, tu ne souhaites qu’une seule chose : partir. Il y a très peu de lieux où tu te sens réellement à l’aise, ils se comptent sur les doigts de la main. En réalité, est-ce vraiment le lieu ou bien ce que tu y fais ? On te l’a souvent dit, tu sembles être une autre personne lorsque tu danses.
La danse, c’est ta bulle.
Et tu te fiches bien de ce qu’il peut se passer autour de toi, parce que tu danses.
Qu’on te regarde ? Tant mieux. Tu veux qu’on t’observe, qu’on te fixe, qu’on t’admire. À chaque pas tu recherches un peu plus l’attention de ton public, toujours un peu plus.
À chaque pas, tu laisses ton corps s’exprimer sans la moindre gêne. Il n’est plus question de timidité, de se cacher derrière son masque, ou de rougir à la moindre interaction. Cette confiance qui te manque dans ces moments-là, tu la retrouves et elle te permet de t’épanouir et d’exploiter ton talent. Tu n’es pas le meilleur danseur.
Tu n’es pas le meilleur, mais tu fais partie des meilleurs.
Arrogance ? Peut-être.
Ton objectif n’est pas d’être le plus grand danseur connu, ni même d’être le top 1. Non, tu veux juste danser, et ne jamais arrêter.
La danse te tient tellement à coeur, c’est ce qui fait de toi quelqu’un d’exigeant lorsque tu l’enseignes. Tu repères les failles, les négligences, les faiblesses de manière presque impitoyable, tu ne veux rien laisser passer. C’est qu’on peut s’estimer heureux lorsqu’on te tire un “bien”. Si ce compliment est accompagné d’un petit sourire, c’est que l’étudiant a tiré le gros lot. À l’inverse, il faut apprendre à craindre tes silences.
Il y a les silences parce que tu ne sais quoi dire ou répondre, et il y a les silences où tu souhaites enfermer une personne dans un conteneur et le balancer dans l’océan le plus proche.
Généralement, si le silence est pesant et que tu ne quittes pas la personne des yeux, il faut opter pour la deuxième proposition.
[En cours]