La pluie, froide et inattendue, s'était soudainement mise à tomber alors que Ji-su se dirigeait vers le jardin ; l'envie de fumer l'avait pris ce matin déjà, sa dernière clope remontant à quelques temps.

Le ciel, clair quelques heures plus tôt, s'était très vite obscurci en fin d'après-midi - mais la chaleur restait présente malgré le mauvais temps ; l'air était lourd, presque étouffant.

Ji-su, surpris par l'averse, s'était retrouvé trempé en quelques secondes ; s'il avait déjà prévu de se rendre au coin fumeur, il avait cependant été obligé d'accélérer la cadence pour éviter de passer le reste de la journée avec des vêtements humides. Et l'eau qui vient s'écraser sur lui tandis qu'il court vers son refuge lui glace la chair, le faisant frissonner malgré le fait qu'il soit couvert.

Le visage ruisselant, il arriva enfin à se mettre au sec - mais quelqu'un était déjà là. Une fille, qu'il apercevait de temps à autre quand il venait fumer ici mais à qui il n'avait jamais vraiment adressé la parole ; une relation faite de salutations hésitantes et d'adieux timides.
L'absence de parapluie à ses pieds lui fit deviner qu'elle s'était retrouvée coincée ici, et qu'elle devait attendre la fin du déluge, comme lui.

Ses doigts fins tenaient une cigarette, pas encore allumée ; son regard insistant qui le transperce lorsqu'il s'approche lui fait comprendre la situation sans qu'elle n'ait besoin de lui poser la question.

T'as pas ton feu ?

Préférant attendre sa réponse avant de lui tendre son briquet, il en profita pour allumer la cigarette qu'il gardait précieusement dans la poche de son sweatshirt, après l'avoir inspectée quelques instants pour vérifier si aucune goutte ne l'avait atteinte.

Il porta la clope au bout grésillant à sa bouche, et il se mit non loin du banc où elle était assise, préférant rester debout pour fumer.

C'est qu'elle n'est pas si désagréable cette situation au final, entre le bruit charmant de l'eau qui tombe à flots, les vitres qui teintent et ruissellent de gouttes
- les étincelles d'eau qui s'écrasent et se brisent dans une cacophonie captivante.

Il n'y a plus qu'eux, dans le calme de la pluie
- et l'odeur amère de la cigarette.

Douce cacophonie qui résonne à ses oreilles : ce n'est que quelques minutes après qu'il ait allumé sa première cigarette que la pluie se met à tomber encore plus fort - et il retient un petit sourire, fier d'avoir pu éviter de se faire complètement tremper.

Elle semble assez hésitante quant à lui demander son briquet, et Ji-su se demande un instant s'il n'aurait pas dû lui proposer tout de suite après avoir remarqué qu'elle n'en avait pas, malgré le fait qu'il se serait senti envahissant sur le coup - il ne voulait surtout pas l'embarrasser.
Mais voilà que la jeune fille ose enfin prononcer la phrase ; évitant de la faire plus attendre, il fouille à nouveau dans sa poche et ressort l'objet désiré, puis tend le bras vers elle, son feu au bout de ses doigts fins.

Bien sûr. Tiens.

Le briquet tant attendu est noir ébène, strié de fines lignes blanches formant quelques formes géométriques, trop compliquées pour que Ji-su se souvienne de leurs appellations - un motif pour le moins original, qu'on ne voyait pas souvent. Il trouvait cela bien futile de les décorer, ces objets qui répandaient l'odeur amère de la nicotine, s'imprégnant aux tissus et déposant les poisons aux creux des veines - et le plus ironique était qu'il ne pouvait pas s'en passer lorsque son esprit était en proie au désespoir.

La clope se consume peu à peu tandis qu'il lui lâche ces quelques mots ; et la fumée sinueuse se disperse au gré du vent en formes indéfinies - une brume nocive s'échappant dans la pluie après avoir caressé les corps.

Puis Ji-su se lance timidement, outrepassant sa gêne ; cette hardiesse modeste était sans doute due à son désir de modifier sa perception du temps ; qu'il serait bien réjouissant s'il pouvait passer plus vite. Il serait agréable également de briser la glace et réduire la distance polie qu'il entretenait avec elle, après tout ce temps.

Le faible sourire qu'elle parvient à lui adresser le rassure un peu et il en esquisse un à son tour, avant de prononcer :

C'est pas la première fois qu'on se croise ici. C'est quoi ton nom ?

Alors qu'il promène son regard sur le paysage rendu morne et gris par l'averse en attendant sa réponse, Ji-su songea à acheter un parapluie ; le dernier ayant été bêtement oublié à l'entrée d'un bar il y a quelques semaines, il s'était retrouvé surpris par la pluie ce jour-là et il ne désirait pas que cela lui arrive une seconde fois.