Il avait suffi d'un simple regard échangé - quelques secondes tout au plus -, un instant d'inattention ; Ji-su qui se désintéresse du discours de bienvenue monotone du professeur, laisse son regard dériver vers la classe et ses étudiants à moitié endormis, et croise celui d'une personne à l'allure familière. Il n'avait pas été bien difficile de le reconnaître, et le fait qu'il n'ait pas pu soutenir son regard très longtemps l'avait convaincu que c'était bien lui.

À la fin du cours, Ji-su sortit de la classe sans oser le regarder une nouvelle fois, encore trop ébranlé par la nouvelle pour lui parler tout de suite. Jamais il n'aurait pensé qu'il se retrouverait dans la même université que lui
- et dans la même classe, accessoirement. Il porte une main à l'une de ses tempes, troublé par un léger début de migraine.

Préférant s'échapper sur le toit pour mettre de l'ordre dans ses idées plutôt que de suivre le reste des élèves, quitte à retourner en cours le ventre vide, il dépose son sac à terre et réfléchit à la suite. C'est qu'il avait tellement de questions en tête qu'il ne savait pas par laquelle commencer ; le simple fait de pouvoir se tenir devant lui paraissait complètement invraisemblable.

Le grincement de la porte qui s'ouvrait à nouveau le fait se retourner. Sans grande surprise, c'est Sang-ook qui l'a suivi. D'un côté, il est rassuré que ce soit ce dernier qui ait fait le premier pas au lieu de le fuir comme il l'a fait autrefois, mais Ji-su comprit à quel point il était angoissé à l'idée de lui reparler lorsque son ancien ami se rapprocha.

Malgré son appréhension, cette fois, Ji-su n'allait pas abandonner. Après tout ce temps, il avait désespérément besoin de réponses.

Et c'est tranquillement immobile - presque pétrifié par la surprise - qu'il le regarde s'avancer pour faire... Il ne savait pas exactement quoi. Ça ressemblait vaguement à une tentative d'intimidation, que Ji-su aurait plutôt associée en temps normal à un collégien essayant d'impressionner un plus jeune, pour nourrir un ego surdimensionné.

T'es ridicule.

Quel crétin.

Vraiment... T'as que ça à me dire, sérieux ?

Légèrement rassuré de le voir se relever avec un peu de précipitation - sans doute s'était-il rendu compte de l'absurdité de ses actes, et était manifestement capable de faire preuve d'un minimum de bon sens -, Ji-su lâche un soupir, déjà las du comportement idiot du jeune homme.

J'arrive pas à croire que ce soit le premier truc que tu me sortes après tout ce temps...

Ji-su hésitait entre de nombreuses options, notamment entre celles de l'engueuler, l'étreindre, le frapper, et partir.
Peut-être pouvait-il s'autoriser à toutes les exécuter à la suite, dans cet ordre-là.

Et dis-moi, comment tu t'en sors dans cette école où "tous les coups sont permis" ? Tu fuis les problèmes, j'imagine. Après tout, t'as été très doué pour le faire avec moi.

Ji-su n'avait absolument pas prévu de se laisser aller ainsi au départ, mais la provocation de Sang-ook l'avait plus énervé qu'il ne le pensait. Sa fierté mal placée avait attisé la rancune qui avait rampé dans son cœur pendant toutes ces années, et voir son ancien ami se comporter de façon aussi stupide l'exaspérait. Il ne s'était pas non plus attendu à ce qu'il le supplie de le pardonner genoux à terre...
Simplement à des excuses.

Le rire qu'il lui lâche semble nerveux, mais Ji-su a de plus en plus de mal à garder son calme - perd presque pied quand il lui donne un coup à l'épaule. Il n'avait pas l'habitude de le voir dans un état pareil, et chaque mot qui sortait de sa bouche était douloureusement acerbe.

Ce n'était pas ce qu'il avait imaginé.
Ce n'était pas ce qu'il avait espéré, du fond de son cœur.

C'est ça ton approche, tu la joues victime maintenant ? Et tu dis que c'est moi qui suis sans pitié - alors que c'est toi qui te casses sans donner aucune nouvelle après.

Ses convictions et sa colère vacillent cependant lorsqu'il l'entend dire qu'il était inquiet pour lui - la rancune est légèrement atténuée face à sa sollicitude, et il hésite presque à lui rétorquer que tout allait à peu près bien pour lui, si on oubliait les bagarres occasionnelles auxquelles il n'appréciait pas du tout participer et certains ennuis, trop insignifiants pour s'en préoccuper.
L'année scolaire n'allait pas être aussi tranquille qu'il l'avait espéré, mais Ji-su s'arrangerait pour qu'on lui foute la paix et il savait qu'il finirait par s'en sortir, comme toujours.

Pourquoi tu me dis rien si ça me concerne pas ?

On se disait tout avant, non ?

Soupirant alors qu'il passe une main dans ses cheveux roux - geste qu'il a l'habitude d'effectuer lorsqu'il est stressé -, il laisse son regard vaguer au sol pendant quelques instants puis relève les yeux vers lui. Il donnerait n'importe quoi pour remonter le temps à l'époque précise où Sang-ook avait curieusement commencé à établir une distance entre eux et, quelle que soit la raison de son éloignement, le rouquin aurait tout tenté pour empêcher son départ. Le pire dans cette situation était le fait qu'il ne savait rien - il n'avait absolument aucune idée de pourquoi son ami s'était enfui de la sorte, et c'est miné par sa propre ignorance qu'il culpabilisait, se demandant si c'était de sa faute ou non. S'il avait pu faire la moindre chose pour l'éviter, il l'aurait fait.

Écoute, j'suis désolé si j'ai fait quoi que ce soit qui ait pu te blesser ou... Je sais pas. Mais tu peux pas me laisser confus comme ça, je... Explique-moi, s'il te plaît. Je comprends pas.

Il y avait tellement réfléchi qu'il ne savait plus quoi croire, ou quoi espérer. C'est avide de réponses qu'il soutient son regard, désespérément impatient de connaître la vérité.